L'histoire militaire de la Côte Sainte-Catherine
La forteresse
Ce passé religieux fut étroitement lié à un riche passé militaire. En effet, cet espace dominant Rouen était un endroit hautement stratégique pour la défense de la ville. Lors d'un siège, la prise de la forteresse, qu'était devenue l'abbaye dès 1174, était rendue obligatoire avant de pouvoir investir la ville elle-même. Sur la vue de Rouen du Livre des Fontaines de Jacques Le lieur en 1525, on remarque bien les tours de défense flanquant le monastère.
L'abbaye a subi plusieurs sièges très éprouvants pour les Rouennais. Le premier fut celui de Geoffroy, comte d'Anjou, en 1144. L'abbaye n'étant pas encore fortifiée, les bourgeois de Rouen jugèrent toute résistance impossible et se rendirent le lendemain, disposés à rendre hommage au Comte.
Le siège le plus effroyable fut celui engagé par Henri V, roi d'Angleterre, qui fit un blocus total de la ville en juillet 1418. Le 30 août 1418, la famine obligea le gouverneur du fort Sainte-Catherine, Guy Lebouteiller, à capituler. Rouen se rendra dans les mêmes conditions en janvier 1419 après maintes souffrances. L'armée anglaise s'y installera jusqu'au 10 novembre 1449, date de l'entrée solennelle du roi Charles VII.
Les fortifications de labbaye d'après Chastillon vers 1600
Au début du XVIème siècle, les progrès de l'artillerie, amenèrent des changements importants dans l'art de la fortification. En mai 1520, François 1er avait demandé aux bourgeois d'incorporer les défenses du "Mont de Rouen" dans celles de la ville, et une première fortification en tenaille fut édifiée en 1544 à l'Est de l'abbaye , ultérieurement nommée "vieux fort". Elle n'était pas achevée en mai 1562 lorsque le duc d'Aumale vint reprendre Rouen et le fort alors aux mains des Calvinistes. Mais il ne réussira pas. Le comte de Montgommery fit construire un nouveau fort, qui portera son nom, autour du prieuré Saint-Michel.
L'armée de Charles IX, forte de 18 à 20 000 hommes, opéra une première attaque sur le fort, le 17 septembre 1562, qui fut repoussée, comme les suivantes. Catherine de Médicis, mère du roi, voyant que le siège traînait en longueur, tenta en vain de négocier, puis ordonna en octobre 1562 un assaut général qui s'avéra victorieux, mais qui fut suivi d'atroces massacres. Les chefs réformés, prisonniers, furent décapités ou pendus. Après la reprise de Rouen par les Catholiques, des modifications importantes furent apportées aux fortifications augmentées vers l'Est par de nouveaux bastions, semblables à l'architecture militaire qui atteindra la perfection avec Vauban au XVIIème siècle.
Une profonde tranchée dite des Capucins, allant de l'abbaye au faubourg Martainville (à l'entrée de Rouen) intégrait le fort dans les défenses de la ville. Les travaux reprirent de plus belle en 1591 avec la menace d'une attaque de Rouen par Henri IV.
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Le siège par Henri IV
Le parti catholique de la Ligue refusait l'accession au trône d'un roi huguenot. Pour soumettre la ville de Rouen, Henri IV, qui possédait déjà les principales villes de Normandie, installa son camp à Darnétal en novembre 1591, et sur le Mont Thuringe (côte de Bonsecours) d'où les artilleurs tiraient à coups de canons notamment sur le bastion du fort le plus proche qui a pris le nom de "bastion battu". Cette guerre de sapes, de mines, de contre-mines et d'escarmouches journalières n'eut pas raison de la résistance acharnée des assiégés.
Le 26 février 1592, la garnison du fort, soutenue par les bourgeois de la ville attaquant vers les Chartreux (à l'Est de Rouen), infligea une perte de 800 hommes à l'armée royale et prit cinq canons. Henri IV était alors allé jusqu'à Aumale pour repousser l'armée du Duc de Parme qui venait porter secours à la ville de Rouen. Suite à des mutineries dues à la famine qui sévissait à l'intérieur des remparts, le capitaine du fort, Monsieur de Villars fit savoir à la Ligue qu'il capitulerait s'il n'était pas soutenu. Le Duc de Mayenne, qui avait réussi au mois de mars à faire parvenir sans dommage quelques troupes jusqu'à l'intérieur de la ville, traversa la Somme pour marcher sur Rouen. Le 20 avril 1592, Henri IV préféra lever un siège de six mois qui a été scrupuleusement décrit par un officier du fort, Guillaume Valdory. La reddition négociée de la place fut obtenue en 1594 après l'abjuration et le sacre d'Henri IV qui fit son entrée solennelle en 1596.
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Le siège par Henri IV gravure allemande du XVIle siècle
Après ces évènements, les jours de l'abbaye étaient comptés. En effet, la Chartreuse de Gaillon, fondée par le Cardinal Charles de Bourbon, oncle d'Henri IV, avait des vues sur les revenus importants dont jouissaient les abbés de Sainte-Catherine, ayant elle-même des problèmes financiers pour assurer son existence. La suppression de l'abbaye et son rattachement à la Chartreuse seront obtenus du pape Clément VIII en 1597, sur la demande d'Henri IV qui, suite au conflit, exagéra sûrement la description de l'état de délabrement des lieux pour obtenir la décision.
En outre, profitant d'un prétexte fourni par les habitants de Rouen qui auraient estimé que le fort causait à la ville plus de mal que de bien, le roi de France signa le 4 janvier 1598, une charte confirmant la démolition du fort et par conséquent de l'abbaye. Henri IV, satisfaisant les désirs de ses protégés de Gaillon, se vengeait ainsi d'une place forte qui lui avait tant résisté, et vengeait aussi son père le roi de Navarre qui y fut mortellement blessé vingt ans plus tôt.
En 1600, les religieux déménageront au prieuré Saint-Julien, au Petit-Quevilly.
L'histoire militaire rattrapera la colline Sainte-Catherine pendant la seconde guerre mondiale avec l'installation de batteries de DCA. Elle sera violemment bombardée à la fin de la guerre.
Les terrains serviront ensuite de piste de moto-cross dans les années 1950-1970.
© Jacques TANGUY - Avril 2005