Un air de fête au Mont-Gargan
Cité Léveillé, une rue très calme. En apparence seulement, car un air de fête y flottait en permanence.
Si vous aviez erré bucoliquement dans cette petite rue, vous auriez été surpris par la présence d'une roulotte verte et rouge, réplique de la célèbre verdine du tableau de Van-Gogh peint à Arles vers 1888, stationnant en permanence au Mont-Gargan. Elle voisinait un manège de quatre chevaux de bois. Entendant les airs entraînants de votre jeunesse diffusés par le proche limonaire, ils ne demandaient qu'à tourner, chevauchés par les cavaliers amis et voisins qui venaient une fois par an faire la fête cité Léveillé, avant les grandes vacances.
Cette fête avait lieu chaque année, au mois de juin. Chacun amenait son pique-nique, les enfants babillaient, les adultes riaient, les souvenirs des fêtes villageoises d'autrefois remontaient, la gaieté était là, l'émotion aussi. La plus heureuse des personnes présentes était le propriétaire des lieux : Jacques MONTIER. De l'or dans le coeur et dans les mains. II a créé lui-même ces instruments de fête et d'évasion. Un an de travail pour la roulotte, habitable avec un lit, deux fauteuils, une table et le poêle à charbon. Montant dedans, vous étiez déjà en voyage. Deux ans de travail pour le manège de chevaux, décoré par une voisine et artiste. Grimpant sur un des chevaux, vous redeveniez enfant, avec la griserie merveilleuse de vos tendres années. Le limonaire, déniché chez un forain, faisait l'objet de tous ses soins, cinquante flûtes, deux caisses claires et une cymbale. En les écoutant, vous faisiez un bond en arrière quand vous dansiez avec votre fiancé ou votre promise. Et ce jeune homme qui fait tout cela, il n'avait dépassé que quatre-vingt-trois ans et un enthousiasme à faire pâlir chacun de nous.
Jacques Montier fut aussi à l'origine de la chapelle Saint-Michel, au Mont-Gargan. N'écoutant pas les frilosités de certains, retroussant comme à l'habitude ses manches de chemise, avec quelques amis bénévoles, il a construit lui-même cette annexe de la paroisse Saint-Paul. Ancien aumônier de prison et du CHU, c'était un humaniste. Son moteur était l'écoute et le partage. II fait partie de cette galerie de personnages qui font l'intérêt de notre quartier et qui s'inscrivent durablement dans l'histoire de celui-ci.
Jacques Montier disait qu'il allait enfin se reposer. Pouvait-on le croire ? Oui, puisqu’il est décédé le 4 septembre 2007. La rue est redevenue bien silencieuse…
Maintenant, nous allons faire un petit historique de cette rue.
A l'origine, il n'y avait que des prairies, appartenant au baron Levavaseur, à l'emplacement de la cité Leveillé. Le caractère agricole ou pastoral est rappelé par l'existence de deux bornes en pierre blanche, à l'entrée de la rue Lebrument, qui sont en fait destinées à éviter le frottement des essieux de charrettes contre les murs. Peut-être ont-elles servi aussi de barrières? La rue Leveillé s'appelait cité Verger. En 1910, il y avait quatorze parcelles au nord de la rue. Au milieu, à l'emplacement du passage de la rue Lebrument, il y avait la propriété Henry, qui en plus de travailler à la gare du Nord, élevait des bestiaux dans les prés en dessous. En 1909, la rue Lebrument n'existait pas, puisqu'un projet d'escalier, cette année là, devait joindre l'Est de la caserne Trupel à la cité Verger. Fin 1908, la rue Lebrument est prévue. Cela sera rendu possible par le déménagement négocié de M. Henry vers l'Ouest de cette voie. Mais la ville de Rouen ne veut pas vendre les terrains entre la cité et la caserne Trupel, car elle pensait que la caserne aurait pu s'agrandir. Un moment, on a pensé construire ici le futur groupe scolaire du Mont-Gargan. La rue Lebrument ne prendra son nom que le 31 mai 1934, par délibération du conseil municipal. Lebrument Jean-Baptiste est l'architecte qui a réalisé la chapelle de l'Hôtel-Dieu, actuelle église de la Madeleine. Rappelons également que Leveillé était le fondateur d'une fllature, première activité dans le bâtiment qui a abrité ensuite une caserne, puis le garage municipal actuel.
© Copyright Dominique SAMSON - Avril 2004